Ordure Ménigère.

Texte: Cyrille Mulard

Graphisme: FX Gourvès

L'autre jour, alors qu'en bagnole j'écoutais un Higelin totalement persuadé que sa guitare est un fusil, prenant mon mal en patience devant un feux particulièrement rouge malgré le peu de succès rencontré par les hordes communistes de nos jours et sous nos climats, je remarquais sur le bord de la route un de ces vendeurs de journaux des rues (qui ont eu leur temps eux aussi), prêt à assaillir les pôv' automobilistes que nous étions, pour leur soutirer moult argent en échange d'un canard quelconque plus cher que libé mais avec moins de pages, et par conséquent moins de conneries dedans, ce qui est toujours ça de pris.

Je m'apprêtais donc à sortir le sus-décrit argent de ma poche et à baisser la vitre de ma voiture en oubliant courageusement le risque de désamorçage de la pompe cardiaque causé par l'hydrocution obligatoire vue la différence de température entre les 50°c chauffage à bloc de l'intérieur de mon véhicule et les moins 10°c de l'hiver, à bloc également, de l'extérieur de mon véhicule, quoi que je ne soit pas sur que le terme d'hydrocution soit approprié pour décrire un choc thermique dans un milieu gazeux.

Bref, c'est la charité au bord des doigts que j'attendais mon vendeur, le sourire et le bonjour aux lèvres ainsi que la pétoire dans la main gauche , on ne sait jamais avec tous ces viols.

Mais alors que je relevais les yeux et la valeur de l'estime que je porte pour mon ego débordant de charité chrétienne gluante, je remarquais que mon vendeur n'avait pas fait un pas, ni un geste, ni rien du tout, ce qui est particulièrement étrange lorsqu'on connaît la célérité du vendeur de "la rue" (sans mauvais jeu de mots) ou du laveur de pare-brise propre. Célérité qui avoisine celle de la lumière. Celui-la, non ! Il restait assis sur le rebord du trottoir, sans bouger, alors que l'on sait depuis longtemps que seule l'activité musculaire permet d'augmenter la température corporelle afin d'éviter la crispation frigorifique généralement létale. Mais que voulez-vous, ces gens là n'y connaisse rien en physiologie humaine. Y'en à même qui refuse de s'alimenter d'autre chose que du contenu des poubelles alors qu'on mange si bien dans nos petits restos... J'vous jure, y'a des fois, je me demande si Dieu ne s'en fout pas un peu de nous.

Et puis, lentement, elle a levé la tête et a posé ses yeux sur moi. Je dis "elle" car s'était une femme, ou plutôt une jeune femme qui se tenait là. Ses cheveux longs étaient coincés dans la languette de sa casquette américaine enfoncée jusqu'aux sourcils dans la crainte incongrue de recevoir quelques coups de matraque si chers à nos amis CRS. Je dis incongrue car le CRS ne s'aventure guère sur la côte d'azur (lieu du drame) tant que la température extérieure n'y avoisine pas les 35°c et ce afin de se donner ce teint halé grâce auquel il pourra flamber à la caserne en septembre en prétendant qu'il est parti sauter des connes à Ibiza alors qu'il n'a fait que parquer des cons à Saint Tropez.

Pour en revenir à l'inconnu en phase finale de congélation, son regard est venu fouiller mon âme à la recherche d'un peu de chaleur. J'ai rarement vu quelqu'un regarder comme ça... C'était peut être du désarroi ou de l'incompréhension ou bien encore un de ces regards d'enfant perdu dans un monde qu'il ne comprend pas et qui demande à l'aide avec ses yeux parce que ce qui lui arrive le laisse sans voix.

Il y avait de l'amour et de la tendresse dans ses yeux. Il y avait aussi de la peur, de la colère et surtout une question : Pourquoi ? Et puis tout ceci a disparu pour ne laisser place qu'à de la honte... Elle a baissé les yeux pour regarder le sol comme si c'était le seul échappatoire à sa détresse.

Pendant ces quelques secondes, le monde autour de moi a disparu. Il ne restait que cette femme et moi, immobiles, cherchant l'un et l'autre à comprendre les raisons de tout ça.

Et puis, un Klaxon a retenti et a brisé la bulle. Puis un autre et encore un autre. Un concert de Klaxons comme une ode à l'absurdité mais en super moins romantique. Car ces messieurs étaient pressés comprenez-vous. Contre toute attente, le feux était passé au vert et ces messieurs voulaient retourner au plus vite dans leur train-train de patrons pas content, de femme insatisfaite, de gosses braillards, des dimanches en famille et des lundis aux putains. Ces hommes voulaient s'agiter à tous prix pour ne pas avoir le temps de penser à leur décrépitude, à la mort, à l'augmentation du prix des clops, à leur vide intérieur, à la petitesse d'âme qui font d'eux des Hommes. Et je reprend avec Higelin : "Combien j'aimerais l'après-midi, si toute la bande de ouistitis qui s'agitent dans tous les sens pour justifier du pedigree de leur incompétence, cessaient leurs allées et venues, leurs corps à cris, leurs cohue, pour laisser mon âme indolente dériver en ces grands palais...."

J'ai enclenché une vitesse, j'ai démarré et je suis retourné dans le courant de la vie.... Si mesquine et sordide vie...

Cette histoire m'est arrivée il y a un mois et il ne se passe pas une journée sans que je repense à ses yeux...

Il ne se passe pas un instant sans que je me dise que j'aurais du m'arrêter au mépris total des connards cocufiés protestataires klaxonnant à mon endroit, pour tendre la main vers cette femme vibrante de vrai vie (et de froid aussi mais c'est moins romantique).

Je ne veux délivrer aucune morale ni aucun message. J'écrit plus pour chasser une douleur que pour jouer les pontifes donneurs de leçon, les mains encore grasses de Mc Dégueux engouffrés sans remords au mépris total des morts par milliers, l'estomac aux parois collées par la faim.

Je suis juste amoureux de ce regard et il me semble clair que s'il ce fut s'agit d'un homme, les choses en aurait été autrement. J'veux dire...

Cyrille.